Lettres du terrain

LAWRENCE FILLION – Conseiller en soins spécialisés

publié le 11 mars 2021

Devoir de mémoire: célébrations de la vie
Ayant fait des études en microbiologie et biochimie avant de devenir infirmier, j’ai toujours eu une grande curiosité pour les nouvelles concernant les épidémies. Après avoir présenté le modèle de la propagation des grippes émergentes dans le cadre d’un cours de deuxième cycle universitaire au début 2000, j’étais parmi ceux qui se posaient la fameuse question : Quand? Je me souviens que mes sens se sont mis en alerte lorsque j’ai compris en février que l’Iran était atteint de plein fouet, c’était un signe précurseur de la pandémie qui arrivait.
Retour en l’arrière de 10 ans. De mémoire, j’étais aux soins intensifs du CHUM en 2009 pour la grippe H1N1 et nous avions eu une réponse rapide et efficace. À peine l’annonce de la découverte du virus à Mexico publiée, nous étions déjà prêts à recevoir des personnes atteintes à Montréal. Alors naïvement, je nous pensais prêts pour la guerre contre la Covid-19. Malgré notre médecine moderne, nous avons ressenti dans cette vague la grande fragilité de la vie, le combat, car il s’agit d’une guerre qui nous a mobilisés tous et chacun. Ce combat était constant. Où suis-je utile aujourd’hui? Qui peut collaborer pour trouver une solution à ce problème? Est-ce que cette façon de faire sera sécuritaire pour le personnel? Bref, des heures et des heures pour s’assurer de la sécurité du personnel et tenter de sauver des vies. Des heures d’angoisse en pensant aussi aux êtres chers que nous voulons protéger.
Très tôt, j’ai pris conscience de la mort qu’entraîne une pandémie dans son sillage. En prenant en charge la réflexion des soins post-mortem, j’ai constaté que le corps des victimes d’un virus mortel devient un danger. Pourtant, la pulsion humaine pour les rituels des décès est profonde. Combien de proches n’ont pas pu voir mourir l’être aimé? Combien de proches n’ont pas pu voir le corps de l’être aimé avant son incinération? La mort dans la solitude est une tristesse sans fond, mais notre personnel s’est dévoué à utiliser des moyens technologiques au péril de se contaminer eux-mêmes, pour permettre un dernier moment… Cette mort se retrouve dans la population sous forme de statistique et devient déshumanisée. Cette mort qui est parfois niée ou minimisée parce qu’elle fait trop peur ou que nous préférons l’ignorer. Cette mort nous rappelle que nous sommes bien fragiles.

Bien sûr, il y a eu l’Hôtel-Dieu de Montréal, deuxième rempart pour sauver des vies. Que ce soit Lyne de l’entretien ménager, Marc à la gestion, Jean-Dominique l’IPS en renfort ou Mylène qui agit comme un pilier pour l’équipe de soins, les visages des combattants reflétaient la vie; la vie, celle des soignants qui acceptent le combat dans des sentiers inconnus. Mais aussi, ces vies qui étaient sauvées, celles des nombreuses personnes âgées qui se sont remises de la maladie. La vie est une célébration de chaque instant, personne ne peut dire le contraire après avoir connu les soins dans des unités d’isolement de pandémie. Pour moi, le combat pour la vie, c’était de trouver des solutions aux problèmes, de simplifier les mécanismes de collaboration, de rendre plus facile la communication, d’adapter les soins à l’horreur de l’isolement.
Après des millénaires à vivre des pandémies, nous constatons que nous en sommes toujours au même point: avoir peur de la mort et ignorer la valeur précieuse de notre vie. Dans l’immense complexité de nos existences, il y a bien peu de place pour prendre le temps d’y réfléchir, et pourtant.

Lawrence